" Le deuil est une guerre et je suis en train de la perdre"
Bois Ariane
247 pages
Éditions Belfond (2014)
Collection Roman
Lorsqu'elle apprend l'accident qui a coûté la vie à sa mère, une jeune femme voit sa vie exploser. Tout se délite et s'obscurcit dans le ciel de sa mémoire. L'onde de choc atteint ses enfants et son mari. Pour enrayer cette chute libre, il lui faut partir, tenter de se retrouver pour sauver les siens.
Récit d'un crash intime, d'une fugue maternelle sur les traces d'un silence familial, Sans oublier raconte comment, pour devenir mère, il faut d'abord cesser d'être une fille.
Extrait :
« Elle m'a juste dit : «J'ai peur d'avoir froid là-bas», et puis aussi : «Quelques jours seulement, ma chérie, c'est promis.» Je me souviens de lui avoir répondu : «Fais attention aux pingouins quand tu traverseras la banquise.» Pas drôle, même si, ce matin-là, elle partait en reportage en Sibérie pour le magazine qu'elle dirigeait. J'ai entendu le bruit du combiné que l'on raccrochait. Je parle d'un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître, celui où les gens ne communiquaient que par téléphone fixe. Ce téléphone raccroché fut, comme on dit, le dernier signe de vie de ma mère.
Je travaillais huit heures par jour dans une agence de pub tenue par des décérébrés, neuf stations de métro, dix-huit avec le retour, passage par la case Franprix, avant de retrouver mes petits, une fille de bientôt six ans et un garçon de trois ans, juste à temps pour les coucher, et attendre l'Homme, qui rentrait fourbu de ses journées dans une compagnie d'assurances à la Défense.
L'après-midi de l'appel, pour la première fois depuis longtemps, j'avais fait l'école buissonnière. Séché, comme au temps du lycée. Une angine diplomatique soignée à la potion magique Deneuve dans le dernier Téchiné. Chez mes parents trônait la photo d'une petite fille dans une chaise haute, recevant la becquée de la main d'une créature mutine assise dans un lit aux draps bousculés. Sa blondeur éclabousse tout, Catherine époque Le Sauvage, avec ses bras nus, son teint de coquillage, des seins en forme de mangue et un sourire à impressionner la pellicule, en tout cas mon père qui photographie la scène. À chaque nouveau film, je me précipitais, comme à une réunion de famille. L'intimité en moins, c'était un plus.
De ce vendredi de mai, je n'ai pas le souvenir d'une intuition particulière, plutôt un sentiment d'angoisse diffus. Un état devenu habituel chez moi, une seconde peau depuis la maternité. Le poids des responsabilités, le sentiment écrasant de ces vies à protéger m'empêchaient parfois de respirer. Ce jour-là cependant, je n'étais pas la seule à retenir mon souffle. Un fou furieux retenait en otage une classe de maternelle dans une école de Neuilly, et la France entière avait le mal de mère. C'était la première fois qu'une telle chose arrivait dans ce pays, et nous étions assez naïfs pour croire qu'elle ne se reproduirait pas sous d'autres formes, sous d'autres latitudes. Impossible d'imaginer les fusillades dans les collèges américains, les commandos à l'école de Beslan, les tueries d'élèves en Chine, à Rio et même à Toulouse. Nous restions innocents. Mais je m'égare. »
Je travaillais huit heures par jour dans une agence de pub tenue par des décérébrés, neuf stations de métro, dix-huit avec le retour, passage par la case Franprix, avant de retrouver mes petits, une fille de bientôt six ans et un garçon de trois ans, juste à temps pour les coucher, et attendre l'Homme, qui rentrait fourbu de ses journées dans une compagnie d'assurances à la Défense.
L'après-midi de l'appel, pour la première fois depuis longtemps, j'avais fait l'école buissonnière. Séché, comme au temps du lycée. Une angine diplomatique soignée à la potion magique Deneuve dans le dernier Téchiné. Chez mes parents trônait la photo d'une petite fille dans une chaise haute, recevant la becquée de la main d'une créature mutine assise dans un lit aux draps bousculés. Sa blondeur éclabousse tout, Catherine époque Le Sauvage, avec ses bras nus, son teint de coquillage, des seins en forme de mangue et un sourire à impressionner la pellicule, en tout cas mon père qui photographie la scène. À chaque nouveau film, je me précipitais, comme à une réunion de famille. L'intimité en moins, c'était un plus.
De ce vendredi de mai, je n'ai pas le souvenir d'une intuition particulière, plutôt un sentiment d'angoisse diffus. Un état devenu habituel chez moi, une seconde peau depuis la maternité. Le poids des responsabilités, le sentiment écrasant de ces vies à protéger m'empêchaient parfois de respirer. Ce jour-là cependant, je n'étais pas la seule à retenir mon souffle. Un fou furieux retenait en otage une classe de maternelle dans une école de Neuilly, et la France entière avait le mal de mère. C'était la première fois qu'une telle chose arrivait dans ce pays, et nous étions assez naïfs pour croire qu'elle ne se reproduirait pas sous d'autres formes, sous d'autres latitudes. Impossible d'imaginer les fusillades dans les collèges américains, les commandos à l'école de Beslan, les tueries d'élèves en Chine, à Rio et même à Toulouse. Nous restions innocents. Mais je m'égare. »
Mon avis :
Le jour où la narratrice perd sa mère, son monde s’effondre. Sa mère était journaliste et venait de partir en Sibérie pour un reportage où elle fait partie des victimes du crache d'un hélicoptère. Alors que dans les premiers temps, elle doit accepter la réalité et gérer l'urgence que provoque cette perte : rapatrier le corps, organiser l'enterrement, et toute la paperasse administrative qui va avec, la détresse parvient ensuite à la rattraper. « Si l'on évite le regard de l'autre, notre monde tient encore debout. » C'est pourquoi l’héroïne préfère fuir plutôt que de regarder sa vie, plutôt que de devoir faire face à ce nouveau décès, à ses responsabilités, à sa famille, au regard des autres qui ne cessent de lui rappeler qu'elle a perdu sa mère. Comment continuer à vivre et être soit-même mère alors que l'on vient de perdre la sienne ?
Le récit est donc celui d'une femme qui se cherche, qui se perd et qui tente de poursuivre sa route tant bien que mal. C'est le premier roman que je lis de cette auteure. Et, après un temps d'adaptation avec son style qui me paraissait un peu en décalage avec ses sentiments par rapport à l'Homme, sa réaction virulente qui peut paraître choquante, j'avoue qu'elle décrit très bien le deuil et la dépression qui l'accompagne. On s'attache à la narratrice au fil des pages, on ressent sa fragilité, son angoisse quant à son rôle de mère et d'épouse. Il y a comme une part de l'auteure dans ce récit qu'elle nous livre, une réflexion poussée sur la relation mère-fille, peut-être même une remise en question en tant que parents. Cette citation parle d'elle-même et pourra peut-être vous éclaircir sur ce que je tente maladroitement d'exprimer alors que seul les mots de l'auteure suffisent là ou je peine : « J’ai mis longtemps à comprendre que ce que l’on donne aux enfants ne nous revient pas… Il faut accepter qu’ils vivent à leur façon, les aimer assez pour leur permettre de faire leur chemin. Être parent, finalement, c’est mettre au monde un enfant et accepter de l’y laisser, renoncer à ce sentiment de propriété, de droit exclusif. Et y trouver même du plaisir. ».
C'est un récit émouvant, sincère, profond que j'ai eu grand plaisir à parcourir.
coucou, je l'ai vu sur le ouaib ce livre... il me tente. bise. joli chronique qui fait envie.
RépondreSupprimerJe ne suis pas tentée.
RépondreSupprimerJe ne suis pas très tentée pour celui-ci malgré ton avis positif...
RépondreSupprimerCa a l'air un peu .. plat
RépondreSupprimerIl ne me tente pas tellement
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